Extrait de Ma vie de garçon

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Extrait de / Excerpt from : Ma vie de garçon.


« Hélas ! dit Émilie, quel usage en ferez-vous de ma tendresse ! l'associée de Mme de Belcourt n'est pas faite pour vous attacher, et la malheureuseÉmilie n'est pas née pour vous aimer à demi ! » Ces paroles si tendres se disaient en continuant de pleurer amèrement, ses larmes arrosaient son visage, elles tombaient de ses joues sur sa gorge, Je l'avais découverte pour empêcher que l'abondance de ses pleurs ne mouillât trop l'habillement qui la cachait; ma bouche et mes mains étaient occupées à les recueillir, à les essuyer. Émilie était tout entière à sa douleur, elle ignorait de bonne foi son état et mes caresses ; je n'avais, de mon côté, aucun dessein de profiter de son abattement, mais j'étais dans l'âge où ce dessein se forme sans dessein. Elle était dans une situation où il s'exécute de même, ses yeux charmants étaient fermés et continuellement mouillés de larmes, ses bras étaient languissants et abandonnés, tout son corps était étendu et ce qu'on appelle placé dans une bergère. La tentation de me placer aussi me pressa si violemment, j'avais si peu de chemin à faire, je le fis si vite, que je ne m'aperçus que par l'action même que je n'en avais pas délibéré. Émilie, qui était absorbée et anéantie par sa douleur, ignora pendant quelques instants ce qui se passait. Revenue à elle-même, elle essaya tout ce qui pouvait rompre mon entreprise, mais ses efforts ne firent qu'augmenter mon attachement, elle y parut insensible : n'importe de quelque façon qu'une femme reçoive ce témoignage de passion, celui qui le donne estpresque sûr de le donner encore et de le recevoir à son tour.

Pleinement satisfait, sans avoir encore perdu le symbole précieux du besoin et du désir, j'attendais que mon état fût décidé pour demander grâce ou pour l'obtenir sans la demander, en rendant Émilie aussi sensible que je l'avais été moi-même, de sorte qu'en attendant où j'attendais, je n'avais point l'air d'attendre. « Que vous êtes cruel ! dit en souriant Émilie, qui devinait mon dessein et qui sentait apparemment qu'il pourrait réussir ; avant de me traiter avec mépris, que ne me laissiez-vous accoutumer à la cruelle idée que je suis méprisable à vos yeux ! » Un baiser tout de feu fut ma seule réponse, et je le fis durer jusqu'à ce qu'il m'eût justifié. Je connus bientôt à la douce langueur et aux transports d'Émilie que je l'étais pleinement. L'ardeur la plus vive et la plus dévorante se glissa dans nos veines et s'empara de tous nos sens. Émilie, passionnée et transportée d'excès de volupté, acheva bientôt de perfectionner ce qu'Émilie pleurante et insensible n'avait pas détruit, et, sans sortir de ses bras, j'éprouvai la distance qui est entre les plaisirs réciproques et partagés et ceux qui ne le sont pas ; c'est une comparaison qu'on ne peut bien faire qu'en la faisant sans déplacer, dans les mêmes circonstances où je la fis, de sorte qu'elle n'est pas à la portée de tout le monde. Après ces premiers témoignages de passion, je n'eus pas de peine à rassurer Émilie contre la crainte du mépris ; il ne m'en coûtait que des serments et des caresses, et je les réitérais avec tant de vivacité qu'elles étaient persuasives. Elle me jura qu'elle n'avait connu l'amour et ses plaisirs que dans mes bras, cela pouvait être. Un vieil abbé avait payé fort cher à Mme de Belcourt les premières caresses d'Émilie à l'âge de treize ans, et elle n'avait trouvé qu'un supplice où il voulait lui faire accroire que résidait la suprême volupté. Elle n'avait point été détrompée à quatorze ans par un vieux financier, qui avait payé plus cher encore que l'abbé cette fleur que l'un et l'autre avaient fanée, sans pouvoir la cueillir ; chacun d'eux n'avait fait qu'une tentative. L'abbé était tombé dangereusement malade, ses médecins l'avaient forcé à retrancher cet article de son régime. Le financier avait attribué le mauvais succès de son entreprise au peu de talents d'Émilie, et avait pris parti dès le lendemain avec Mme d'Halières, en consignant sur nouveaux frais. Vous voyez ce qui résultait de tout cela ; c'est qu'Émilie était à l'A. B. C., quoiqu'elle sortît d'une académie galante, et vous voyez bien aussi ce que cela demandait, ce que cela méritait de ma part. Je ne me le fis pas dire deux fois, je rendis à sa virginité tout l'hommage dont je ne m'étais pas acquitté d'abord, faute d'avoir été prévenu.