Extrait Dans les coulisses du mariage

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Extrait de / Excerpt from : Dans les coulisses du mariage.


Gertrude était dans une période de marasme ; sa cour d’adorateurs s’était fondue et elle ne voyait plus autour d’elle que des indifférents.

Avec une ténacité digne d’une meilleure cause, elle se forgeait de nouvelles illusions et attribuait ce calme à la bêtise des hommes en général et à celle de ses amis en particulier.

Jadis, elle vivait dans une parfaite quiétude, trouvant suffisante l’adoration platonique de ses hôtes. Maintenant qu’on ne la convoitait plus, elle se créait des désirs.

Elle parvenait à s’énerver elle-même, en se montrant aguichante et caquette. Devant le sang-froid de ses amis, en repose à ses avances multiples, sa rage ne connaissait plus de bornes. La nuit et le jour, elle rêvait d’adultères sanglants, de drames épouvantables et de débauches lubriques.

Agapit l’étudiait avec sa tranquillité habituelle, et s’amusait de ses mouvements d’humeur, décelant son état d’âme. Afin de mieux la guérir, il la poussait même aux pires extrémités, sachant qu’elle se buterait inévitablement au calme narquois de ses amis.

Ce fut ainsi que Narcole la retrouva lorsqu’il reprit ses anciennes habitudes au foyer Brulard. Il s’amusa à l’énerver davantage, parcourant tout son corps de longs regards sensuels.

Ce fut pour Gégère un aveu bien net des désirs renaissants de son ex-amant. De son côté, elle essaya de le capter à nouveau par de savantes agaceries, mais lui se défiait et se retirait toujours au moment favorable.

Leur attitude étonna la troupe des amis de la maison. On recommença à plaisanter Julien sur son ardeur nouvelle. Il souriait d’un air malin et ne répondait point.

Un jour cependant, il feignit de sortir de sa réserve habituelle et s’écria : « Mais c’est une femme de feu!... tas d’imbéciles! » Et sur cette affirmation il quitta ses compagnons.

Ceux-ci réfléchirent longuement à l’aveu qui venait d’échapper au jeune homme. Chacun échafaudait en son esprit des scènes lubriques,

suivant ses désirs particuliers et, dans cette assemblée, on attribua à Gégère tous les vices qui existent depuis le péché d’Eve.

Le mot de « femme de feu » eut un succès inespéré. Les visites à Brulard redevinrent plus nombreuses, on oublia derechef la conversation pour se perdre dans la muette extase des portraits de Gégère appendus au mur.

On voyait, dans la bizarrerie de sa grêle anatomie des indices certains d’un tempérament en flammé.

Dans leurs conciliabules, ils se disaient l’un l’autre à mi-voix, les yeux brillants, la bouche pâteuse : « Regardez-moi ces formes!... il n'y a pas de doute, cette femme-là est un brasier ardent. »

Les regards chargés de passion se reportaient ensuite sur Madame Brulard.

Celle-ci, poussée à l’extrême limite de l’énervement, répondait à ces avances d’une façon éhontée. Elle s’offrait par ses poses alanguies, en présence même de son mari.

Agapit, de nouveau, avait perdu son sourire, il tempêtait la journée entière contré la sottise des mâles. Il voyait renaître lentement, la passion ancienne pour sa femme et cette constatation le mettait hors de lui.

Elle, par contre, se gardait bien de laisser échapper ces nouvelles occasions et devenait de plus en plus osée. Si quelqu’un la fixait, elle répondait aussitôt par un coup d’œil des plus expressifs. Cette façon d’agir lui valut définitivement le surnom dé « femme de feu ».

Narcole, avec une sourde et adroite ténacité, la poussait aux pires extravagances. Il jouait naïvement auprès d’elle le rôle d’entremetteur et lui répétait tout ce qui se disait à son sujet dans le clan des amis.

Il lui susurra si souvent dans l’oreille qu’elle était une femme de feu, qu’elle finit par se figurer d’un tempérament extraordinaire, dépassant de beaucoup l’ébullition. Un jour même, elle avoua à son mari : « Moi, vois-tu, je suis une femme brûlante! »

Agapit la fixa alors d’un regard atterré et fit mine de s’arracher quelques cheveux.

Maintenant, le pauvre époux déplorait souvent sa maladresse et se demandait si réellement il aurait eu plus de déboires avec une véritable Vénus.