Extrait de Théâtre Naturaliste

De BiblioCuriosa

Extrait de / Excerpt from : Théâtre Naturaliste.


ENTRE-DEUX, pièce en 1 acte et 4 tableaux. - La scène se passe à Paris, boulevard Malesherbes, dans la chambre à coucher de la comtesse Edwige.

...

LE VICOMTE.

Eh quoi, chère Edwige, toujours des plis sur ce joli front ! Quel noir souci vous importune donc ? Est-ce toujours le souvenir de cette évaporée qui vous hante toujours? Ne puis-je donc vous la faire oublier ?

LA COMTESSE.

Eh ! mon cher Edgar, vous savez bien que je suis à vous sans partage, et que rien du passé ne survit dans mon cœur. Eh ! que pourrais-je regretter, quand vous me comblez de toutes les félicités ?

LE VICOMTE.

Qu’on me prouve donc sans retard, ma jolie comtesse, que je suis tout pour vous; qu’on étale sous mes yeux enchantés tous ces divins trésors que cachent ces voiles jaloux. Je veux d’un baiser sur chacun compter tous les attraits de votre chère beauté. Allons, ma belle, à moi ta superbe nudité !

(Joignant l'exemple à la parole, il porte la main sur le peignoir, et va le dégrafer, quand on entend frapper à la porte trois petits coups espacés. C’est le signal par lequel s'annonce ordinairement Marietta. La comtesse surprise, émue et tremblante, montre du doigt l'alcôve au vicomte, lui faisant signe de s'y réfugier. Edgar soulève la draperie et disparaît. La comtesse va tirer le verrou, ouvre la porte, et reculant de quelques pas attend anxieuse.)


3e TABLEAU

La comtesse EDWIGE, MARIETTA.

MARIETTA, se précipitant.

Bonsoir, c’est moi. Eh ! bien, quoi ! on ne me bise pas! Ici, tout de suite, madame la boudeuse; vite un bécot à sa folle amoureuse, à l’aimable Marietta, qui laisse tout, parents, amis, fêtes, plaisirs, pour s’informer de sa chère petite comtesse, et lui apporter le baume divin, dont la chérie a grand besoin.

(Elles se sautent au cou, s'embrassent longuement sur la bouche, puis Marietta se retire.)

MARIETTA.

Nous n’allons pas user notre amour comme cela, tout de suite, ma mie. D’abord, j’aime mes aises, moi; et je vois que tu n’as même pas deviné ma visite, mon loup; je ne vois ni mes mules, ni mon peignoir. Ça, qu’on se dépêche à faire la femme de chambre; tu es une soubrette si parfaite, ma fière comtesse, que je ne puis plus me priver de tes soins.

(Elle s’assied sur la chaise longue, et lui tend un pied.)

Déchausse ta maîtresse, Edwige; bien, à l’autre maintenant. Pendant que je me délace, va me chercher le peignoir et les mules.

(Pendant que Marietta continue à se défaire, la comtesse passe dans le cabinet de toilette, et revient bientôt avec les objets. Marietta a tout quitté, excepté ses bas le soie; elle passe le peignoir, chausse les mules, et se précipitant sur la comtesse, elle l'empoigne par la taille, lui mord les lèvres, lui prend la langue, et la tient ainsi enlacée pendant quelques minutes.)

MARIETTA.

Eh! bien, mamie, nous sommes donc muette aujourd’hui! et pour une petite absence bien légitime, je t’expliquerai ça plus tard, on boude sa petite amie.

LA COMTESSE.

Oh! si tu savais ce que j’ai souffert, mon amour, pendant ces huit longs jours sans te voir.

MARIETTA.

Sans me voir, mignonne, sans me voir ! Voyez la petite hypocrite, sans me voir, elle dit sans me voir; et quand je suis là près d’elle, quand Marietta la mange de caresses, et qu’elle la tient pâmée sous ses baisers, elle ferme les yeux. Ce n’est donc pas de ne pas me voir, que tu languis; c’est mon petit chiffon rouge qui te manquait, c’est ma petite langue. Je te la rapporte, mignonne, et en bon état, plus douce que jamais, plus que jamais disposée à combler le joli mignon des plus tendres caresses. Allons, madame, qu’on se prépare au joli jeu. Viens que je te mange, viens que je te dévore. Viens, viens là.

(Pendant qu'elle l'entraîne vers le canapé, elle aperçoit un chapeau d'homme oublié sur une chaise. Elle y court, le prend, le regarde, le retourne, le flaire et, tout à coup le jette à terre et le foule aux pieds avec rage.)

MARIETTA.

Ah! la coquine ! Voyez-vous ça. Elle me trompait, et avec un mâle encore ! Où est-il ce monstre, que je lui crève les yeux ? Et toi, perfide comtesse, c’est ainsi que tu me gardais ce fin trésor que j’ai pourtant bien gagné, par les nombreuses preuves de mon amour !

LA COMTESSE, cherchant une excuse.

Mais il ne m’a rien pris, cet homme.

MARIETTA.

Eh ! quoi, il aurait vu ce chef-d’œuvre de grâce et de beauté, deviné ces merveilles sous les voiles, et il ne les aurait pas découvertes; il n’a rien pillé, rien volé ; et ces trésors sont intacts, tu oses le dire. Ce petit coin que j’adore, ce fin bouton chéri, qui est à moi, rien qu’à moi, tu dis qu’il n’y a pas mis sa lèvre velue, qu’il ne l’a pas baisé, le mignon, qu’il ne l’a pas touché! Dis qu’il est à moi, rien qu’à moi, à moi seule !

LA COMTESSE, balbutiant.

Eh! non, ma chérie, il... je... enfin comment te dire cela ! L’homme qui est là, dans cette alcôve, et qui était ici tout à l’heure, n’est pas mon... amant; c’est-à-dire, que jamais il n’a remplacé ma Marietta, mon seul trésor. Seulement... seulement, mignonne, il a... comment te dire ça! Il a des goûts bizarres ; il cherche le bonheur à l'encontre de ses semblables; il ne demande son plaisir qu’aux appas qu’on délaisse ordinairement; le verger de Cypris, si cher aux amants, n’a pas d’attraits pour lui, et c’est au voisin qu’il adresse ses... hommages. Mais il m’a tentée en vain, il n’a pu vaincre ma vertu postérieure ; et sois certaine, ma mignonne, que ma porte lui sera fermée pour toujours.

MARIETTA, souriant.

Il doit être drôle, ce monsieur, qui aime les femmes à... l’envers, et je serais curieuse de considérer de près ce phénomène. Fais-le donc venir qu'on s'en amuse un moment.



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