Extrait de Les Aventures galantes d'une dame de la haute société

De BiblioCuriosa

Extrait de / Excerpt from : Les Aventures galantes d'une dame de la haute société.


La fête terminée l’on s’apprête pour se coucher, les personnes mariées se couchèrent ensemble, pour moi, on me conduit au second étage, où une chambre était vide à ma disposition, je m’y couche laissant brûler la veilleuse, ne pouvant fermer les yeux j’entends sonner deux heures, il me paraît entendre quelque mouvement sur le corridor, et à mon grand étonnement, je vois ouvrir la porte de ma chambre, un homme y entre en chemise, et je reconnais de suite que c’est le capitaine, qui fut assis à ma droite à table pendant le dîner. Cet homme marche à pas silencieux, les mains tendues vers le plafond, je ne pouvais plus me tenir tranquille, je lui demande par quelle indiscrétion il se permet d’entrer dans ma chambre; au même instant il fait un mouvement comme un homme qui s’éveille, répond : Pardon, madame, je suis somnambule, dans mon rêve je m’occupais de vous, sous ces inspirations je me suis rendu dans votre appartement, excusez-moi c’est bien innocemment que telle action se fait, je lui fait mille observations et je le prie de vouloir se retirer, mes prières n’aboutissent à rien, il se place sur mon lit et prend ma main. Je veux la retirer, par ce mouvement il tombe sur le lit et en vrai soldat, il lève la couverture et se place à côté de moi, me fait des excuses, attribuant la position où nous nous trouvons au vif amour qu’il ressentait pour ma personne; enfin je voyais bien qu’il n’y avait pas moyen de m’en débarrasser, je me résignais d’accepter, le temps comme il vient, croyant qu’il valait mieux passer par la volonté du capitaine que de faire un bruit qui m’aurait été plus désagréable, que d’être quelques moments dans les bras du nouveau venu.

Le capitaine s’apprêtait de son mieux, je n’accédais pas de suite, nous parlions des revenants, le capitaine me déclare qu’il croit aux revenants, il se retourne pour m’embrasser et, dans son mouvement, il voit courir dans la chambre un lapin ayant les yeux rouges, et je m’aperçois qu’il tremble, nous ne proférons plus un mot, j’ai la tête sous la couverture, nous sommes très tranquilles, le capitaine suait à grosses gouttes, je ne savais quoi penser, je croyais que l’Enfer avait donné rendez-vous dans ma chambre, je n’entends plus rien, je mets la tête hors de la couverture et, à mon grand étonnement, je vois cinq lapins blancs; j’en fais part au capitaine, il se permet de regarder à son tour, mais la peur le prend de nouveau, il s’approche très près de moi, nous restons dans cette position jusqu’à ce que le jour commence à poindre, je l’observe au capitaine; lequel met la tête hors du lit et me dit : Madame, jamais de la vie une inquiétude pareille à celle éprouvée cette nuit ne m’est arrivé et je vais sortir d’ici. Il se lève, sort de la chambre, part sans dire un mot de plus; quelques minutes après vient frapper à ma porte le vieux soldat bedeau, je réponds : entrez; il entre et, sans gêne me fait le récit suivant :

Madame, à mon insu vous vous êtes couchée dans ce quartier, à cause de la fête d’hier, j’ai pris la liberté de loger mes petits lapins dans cette chambre, étant assuré que le lieutenant n’y passerait pas la nuit et, malheureusement pour moi, vous vous êtes logée dans cette place, je vous supplie n’en dites rien au colonel, car Dieu seul sait ce qui m’arriverait pour cette négligence.

Contente de savoir l’énigme, je demande au militaire de vouloir emporter ses lapins, ce qu’il exécute à la minute, je lui recommande de ne rien révéler de ceci, s’il entend parler de lapins, de fermer l’oreille, ma recommandations fut exécutée ponctuellement.

Plus tard j’ai parlé avec le capitaine, lequel croyait avec une entière conviction aux revenants, sa conscience fut tellement en déroute que, depuis ce fait, il est devenu un catholique si parfait qu’il se confesse quatre fois par an; si quelqu’un lui fait une observation, sa réponse est : Taisez-vous, ce que j’ai vu m’est une garantie de la vérité du Christ, et, depuis ma confiance en Dieu, je passe les nuits tranquille et en repos.