Extrait de Le Péché de la Baronne

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Extrait de / Excerpt from : Le Péché de la Baronne.


Dehors, la lune éclairait d'une lumière pâle, effacée, les allées du parc où se profilaient les silhouettes des arbres.

— Geneviève, dès qu'elle fut à l'air, respira profondément.

— Comme il fait bon ! dit-elle. Et comme ce serait doux d'être heureuse ! Pourquoi souffre-t-on, comment se peut-il qu'il y ait de la souffrance quand tout est si beau, quand les étoiles brillent, quand la Nature verse tous ses trésors !... Ah, quelle belle soirée !...

Elle posa sa main sur le bras du vicomte et elle fit quelques pas sans parler.

— Venez ! fit-elle tout à coup. Nous nous assoirons au fond du parc, sur le banc, et je vous montrerai sa lettre... Et vous comprendrez !... Ah ! voyez-vous, Arthur, je préférerais savoir qu'il ne m'aime plus du tout, que son amour pour moi est complètement mort, je préférerais tout à cette sorte d'indifférence polie qui me torture et me brise...

Elle se mit à marcher très vite comme si elle eût été très pressée. Le vicomte Arthur entendait à peine les phrases qu'elle prononçait. Il jouissait trop de la présence de Geneviève auprès de lui, du frôlement de sa petite main posée sur son bras pour comprendre le sens des paroles qu'elle lui disait. Son cœur battait à rompre dans sa poitrine et c'était avec ravissement qu'il écoutait le bruit que faisait la traîne de la robe souple en frôlant le gravier de l'allée où ils passaient. Le parfum des fleurs, qui montait jusqu'à lui, lui semblait provenir de l'haleine de la jeune baronne et, par moment, lorsqu'une branche l'obligeait à se rapprocher de sa cousine, il se grisait d'elle comme d'un délicieux bouquet.

Peu à peu, il perdait la notion des choses qui l'entouraient, les mots que Geneviève murmurait arrivaient à son oreille, confus et dénués de sens. Il ne savait qu'une chose, ne se rendait compte que de cela : Elle était là, près de lui. Existait-il autre chose ? Pour lui, rien d'autre ne comptait au monde. Et il se laissait de plus en plus guider, entraîner par le doux, sentiment qui s'agitait en lui.

Au bout de l'allée, au bord d'une vaste pelouse, il y avait un banc rustique à dossier où le vicomte d'Arros et Geneviève prirent place. Absorbée par son idée fixe, ne pensant qu'à son mari qui seul l'occupait, la baronne du Landy, dès qu'elle fut assise, tira la lettre qu'il lui avait écrite et la tendit au vicomte. Celui-ci la prit, l'examina sans comprendre, puis essaya de lire. Mais il y parvenait très difficilement. Les caractères des lettres dansaient devant ses yeux et il ne saisissait pas le sens des mots. Geneviève, elle, se trouvait dans un état d'excitation extrême. Elle ne parlait pas, elle ne pleurait pas, mais son maintien affaissé disait assez son trouble et son tourment. Elle sursauta quand le vicomte d'Arros la frôla en lui rendant la lettre.

— Que pensez-vous de cela ? demanda-t-elle.

Elle attacha sur le vicomte ses beaux yeux et ce regard qui pesait sur lui finit par faire perdre toute notion juste au jeune homme.

— C'est très mal ! balbutia-t-il après une seconde de réflexion.

— Ah !

Ce fut comme un cri douloureusement étouffé qui s'échappa des lèvres de la baronne du Landy. Elle comptait beaucoup sur l'opinion de son cousin et, au fond de son âme, il y avait eu, jusque-là, comme un secret espoir. « S'il ne juge pas sévèrement Edouard, pensait-elle, c'est que mes alarmes, pour n'être pas vaines peut-être, sont exagérées et en partie injustifiées. » Et désirant qu'il en fût ainsi, elle avait fini par se persuader que la situation entre elle et son mari n'était pas aussi désespérée qu'elle l'avait pensé. Il ne s'agissait là que d'un simple caprice passager qui tomberait de lui-même et tout le bonheur reviendrait. C'était ainsi sans doute que le vicomte Arthur comprenait les choses et il lui parlerait très certainement dans ce sens. Aussi, en entendant le : « C'est très mal » que prononça le vicomte, ne put-elle s'empêcher de pousser un cri. Elle ne s'exagérait donc rien ! Son mari était donc coupable, comme elle le croyait, puisque son cousin — un ami sincère et dévoué — le jugeait si brutalement d'un mot ? Qu'allait-elle faire à présent ? Qu'allait-elle devenir ? Elle n'avait que vingt-six ans ; allait-elle être condamnée à souffrir tout le restant de ses jours ? Elle se sentait envahie par un malaise provenant des craintes et de l'effroi qu'elle avait de l'avenir. Elle aurait voulu sangloter, se jeter sur ce gazon qui s'étendait à ses pieds et crier pour amortir la souffrance qui l'étreignait. Elle avait la fièvre, des bouffées de chaleur lui montaient au visage, tandis que son corps tremblait nerveusement par secousses. Et elle continuait à fixer le vicomte de ses yeux noirs qui brillaient étrangement dans l'ombre de la nuit. Elle tordit ses mains dans un geste de désespoir impuissant et ce mouvement découvrit ses beaux bras blancs, nus sous la manche qui s'arrêtait au coude. Elle parut s'affaisser sur elle-même, cependant que sa jolie tête se renversait sur le dossier du banc. Des larmes glissèrent lentement le long de ses joues pâlies.



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