Extrait de La Vénus pervertie

De BiblioCuriosa.

Extrait de / Excerpt from : La Vénus pervertie.


Mimi Carita trottinait allègrement avec la joie émue d’une fillette s’acheminant vers son premier rendez-vous d’amour.

Elle montait maintenant le Corso Umberto et s’arrêta devant la gare, protégée par une double rangée de fiacres sordides, attelés de chevaux dont la maigreur attestait une année particulièrement difficile.

En tournant un peu vers la Partenza, elle se glissa parmi les employés et tout un bataillon de soldats permissionnaires qui attendaient devant le guichet, la valise ou la musette déposées à leurs pieds.

« Mimi ! ».

Elle se tourna vivement à l’appel de son nom et, toute rose d’émoi, elle courut au-devant de Jean de Galène.

Le jeune homme, en complet-veston bleu, en feutre beige, en souliers jaunes, à l'américaine, prenait doucement les mains de la danseuse, des petites mains toutes chaudes et toutes palpitantes d’un émoi, on ne savait pas très bien lequel.

— « Je vous emmène à Pompéi. »

Elle accepta. La ville complice des amoureux l’attirait ce jour-là, et ses jambes fléchissaient en montant dans le train, car elle sentait proche la délicieuse minute d’abandon, où toute sa gracieuse personne se donnerait par amour, par besoin et par vice.

Ce fut presque tout de suite la petite gare de Pompéi avec sa sonnerie électrique ininterrompue.

— « Nous ne sortirons pas des ruines avant ce soir, dit Mimi, tout à fait câline, prenons un panier de provisions, du poulet froid, du jambon, des fruits et du vin sucré, nous dînerons tranquillement dans un coin bien tranquille, derrière le petit théâtre. »

Jean acheta les provisions dans une auberge au bord de la route, devant l’entrée du Musée.

Ils pénétrèrent bras-dessus, bras-dessous dans l’enceinte de la ville exhumée, Mimi presque appuyée sur l'épaule du jeune homme, tout à fait comme une amoureuse avec son amoureux.

— « J’ai l’air d’une étrangère, disait-elle, n’est-ce pas, je suis une dame de Paris, je viens ici pour visiter les ruines ; regardez cette vieille maison bordée d’ocre, ne dirait-on pas le chevalier Felici, et ce petit faune de bronze vert, c’est tout à fait le baron Moser, vous rappelez-vous le soir chez Anselme, quand il me regardait derrière ses lunettes cerclées d’or... oh !... Allons voir là !... »

Elle désignait non loin d’une maison décorée des deux serpents d’Asclépios, un bâtiment dont la devanture s’ornait d’un phallus dressé dans une griffe de fer.

— « On ne vous laissera pas entrer », répondit Jean en souriant à l’émoi canaille de la ballerine.

— « Bah ! ne vous faites pas de bile, donnez seulement une lire au gardien, il nous laissera bien tranquilles ! »

Un gardien vêtu d’une capote noire et d’un képi galonné d’argent tourna le coin d’une ruelle et vint présenter sa trogne rouge de polichinelle égrillard.

— « Les dames n’entrent pas ! »

Mimi se tourna vers lui, et dans un éclat de rire lui en raconta « pour deux sous » en bel et pur argot de la Marina.

Le faune officiel, soumis et souriant d’un air patient, tendit la main en regardant à droite et à gauche.

La ruelle était déserte, il tira un trousseau de sa poche et ouvrit la porte du lupanar.

Jean et Mimi Carita, la porte refermée sur eux, levèrent le nez.

Ils étaient dans une pièce circulaire et de chaque côté dans la muraille se creusaient des logettes, chacune munie d’un banc de pierre creusé à même la muraille.

Au-dessus de chaque logette, des tableautins peints en noir et ocre reproduisaient dans un réalisme quelquefois monstrueux les qualités et particularités érotiques de la courtisane qui habitait cette étrange cellule.

Une table de granit servait de chaton à cet étrange anneau, et c’était la caisse de la meretrix qui veillait sur toutes les abeilles amoureuses de son extraordinaire ruche.

Mimi et Jean se taisaient, une chaude bouffée de désir, devant ce passé tout de joie et de mystère charnel, tendait leurs reins et troublait leurs yeux.

Une main ployant la taille flexible de la danseuse, Jean l’embrassa à pleines lèvres, pendant que la jeune femme chavirée se dérobait sous lui, les yeux éperdus dans un giroiement fou.

Il la porta sur un banc de pierre où jadis les reins souples d’une Lesbia, d’une Candida, ou d’une Livia s’étaient tordus sous l’étreinte.

Bientôt les soupirs et les gémissements de Mimi semblèrent éveiller dans le lupanar mortuaire un peu de cet extraordinaire passé latin, dont ils n’avaient pu résister à la trop charnelle évocation.



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